Périgord en noir et pourpre II

Partie II : châteaux et vins

(première partie)

(troisième partie)

Savez-vous quel est le pays avec le plus grand nombre de châteaux par habitant ? Moi non, mais j’ai de sérieux soupçons que la France est pas mal placée pour être dans le trio de tête. Parfois j’ai l’impression que chaque ville ou village en possède un, datant du Moyen-âge, la Renaissance ou plus récent. C’est aussi vrai pour le Périgord, où chaque détour mène à un château, bastide ou grotte… qui en soit pourrait être le château pour des hommes préhistoriques.

Donc, beaucoup de villages ont des châteaux, les châteaux ont des vignobles et produisent du vin. En même temps, Périgord n’est pas parmi les régions viticoles les plus connues en France, à différence de Bordeaux, la Bourgogne, l’Alsace ou la vallée de la Loire. Au XIXe siècle beaucoup de vignes du pays ont été infectées par le phylloxéra et les habitants les ont déracinées pour planter des noyers à leur place. Maintenant les noyers sont une des symboles de la région et la base de plusieurs spécialités du coin, parmi lesquelles l’on retrouve la tarte aux noix qui est aussi bonne que calorique.

Une partie des vignes ont malgré tout réussi à survivre dans le Périgord pourpre où l’on trouve de nos jours plusieurs domaines viticoles, dont je ne citerai que deux : Bergerac et Monbazillac.

Le domaine de Monbazillac est situé à quelques kilomètres au sud de Bergerac et couvre le territoire de cinq communes, chacune avec son château, bien sur. Nous avons visité le château à l’origine de l’AOC, Monbazillac. Construit vers 1550, il est bien préservé compte tenu de son passage à travers les guerres de religion, la Révolution et les jacqueries des croquants dans la région. Perché sur une colline, entouré de douves et de tours, le château offre une vue splendide vers le vignoble et jusqu’à Bergerac. Il parait que la culture de la vigne sur le domaine avait été initiée au XIe siècle, par les moines du prieuré de Saint-Martin près de Bergerac qui ont perfectionné la fabrication du vin liquoreux. Le raisin, de cépages sémillon, sauvignon et muscadelle, est cueilli très mûr, le plus souvent au début du mois d’octobre. A ce moment le contenu du sucre dans les graines est le plus fort grâce à la pourriture noble (Botrytis cinerea) qui se répand dans les vignes à l’arrivée de l’automne. Le vin du domaine est doré, avec un arôme de miel et de fruits murs (au moins, c’est ce que disait la brochure). Mon palais, pas très affuté, a su distinguer seulement les fruits pendant la dégustation qui a suivi la visite.

Nous partons maintenant quelques kilomètres au nord, où se trouve Bergerac. La ville a été construite et s’est développée autour de son ancien port qui assurait le commerce fluvial jusqu’à l’arrivée du chemin de fer au XIXe siècle. Le port est toujours en activité, ne serait-ce que pour assurer seulement des promenades touristiques à bord des embarcations traditionnelles, les gabarres. Juste derrière le port commence la vielle ville, avec ses ruelles sinueuses pavées, des maisons à colombages et plusieurs églises, protestantes ou catholiques. Sur une ou deux places, vous pouvez même tomber nez-à-nez avec un des plus célèbres « habitants » de la ville, Cyrano de Bergerac, un poète contemporain à La Fontaine ou Molière, immortalisé pour les générations à venir dans le drame éponyme d’Edmond de Rostand quelques siècles plus tard. Je mets « habitant » entre guillemettes, car Hercule Savinien Cyrano, qui est son nom complet, est né à Paris et n’a jamais vécu dans la ville. Il a seulement pris le nom du domaine familial, « Le Bergerac », qui se trouvait en région parisienne.

Pour changer, il n’y a pas de château médiéval à Bergerac… ou au moins,  nous n’avons pas réussi à en dénicher un. Mais il y a beaucoup de vignes et de vin aux alentours. Je connaissais un peu les vins rouges de la région, même si mon cœur tend plus vers les vignobles bordelais ou ceux de la Touraine. Cet été j’ai découvert les vins blancs et rosés de Bergerac, ce qui était une très bonne surprise. Le vin blanc que nous avons acheté était léger et un peu fruité. Le rosé était plus fort en gout et couleur que ses confrères provençaux. J’imagine que c’est dû aux différentes cépages dans les deux régions : cabernet sauvignon et merlot pour Bergerac versus syrah et grenache en Provence. Nous avons fait confiance au propriétaire du magasin de vins et spiritueux « Le Temps du Vin » à Bergerac pour le choix des bouteilles pour la dégustation pendant les vacances et pour ramener ensuite à la maison. Dans ce magasin il y a non seulement des vins régionaux, mais aussi toute une palette de boissons de différents régions et pays, même une eau de vie bulgare. Et dans la cave, des bouteilles de toutes les années depuis 1940 longent les murs, l’année de ma naissance étant représentée par un monbazillac bien ambré.

A Castelnaud-la-Chapelle, contrairement à Bergerac, on trouve un château médiéval, mais pas de vignes. Et quel château ! Grand, fortifiée et avec une longue et passionnante histoire. Au début du XIIIe siècle, Bernard de Cassenac, fervent défenseur de la foi cathare, était le seigneur de Castelnaud. Simon de Montfort, parti à la croisade s’arrêté en 1214 dans la région et a pris le château. Un an plus tard, Bernard de Cassenac l’a repris, mais seulement pour le voir bruler quelques mois plus tard sur l’ordre de l’archevêque de Bordeaux. Le château est reconstruit plus tard au cours du XIIe siècle. Il est devenu rapidement une des forces principales dans la région à cause de sa position stratégique sur la Dordogne. Son rivale de toujours, le château de Beynac, se trouvant sur la colline d’en face. Le château de Castelnaud a changé de mains sept fois pendant la Guerre de Cent Ans pour devenir enfin français en 1442 après un siège de trois semaines. Plus tard, le château a résisté aux guerres de religion et est abandonné après la Révolution. Ensuite il est tombé progressivement en ruines. Pendant les années 1960, les propriétaires du château ont débuté son reconstruction qui continue même maintenant. Aujourd’hui le château de Catselnaud fait partie de l’héritage culturel français et abrite le musée de la guerre au Moyen-âge. L’immense forteresse trône sur le flanc d’une colline d’où le visiteur peut admirer la Dordogne, les environs et les maisons du village nichées contre la roche en contrebas.

Le château des Milandes abrite également un musée, mais sur un sujet complètement différent. Le château se trouve à quelques kilomètres de celui de Castelnaud sur les routes serpentées. Il a été construit en 1489 par François de Caumont pour son épouse, Claude de Cardillac. Le nom « milandes » vient du terme moyenâgeux pour désigner une contrée boisée. Le château est restée en possession de la famille de Caumont jusqu’au règne d’Henri IV, quand il est délaissée jusqu’à la Révolution. Au début du XXe siècle, le château est restauré par son propriétaire de l’époque, qui fait aussi plusieurs changements dans la façade et construit le jardin. Le château a changé son propriétaire encore une ou deux fois, avant d’être loué en 1937 (et ensuite acheté) par la chanteuse et meneuse de revue Joséphine Baker. Elle a vécu dans le château avec son mari et leurs douze enfants adoptifs de différentes races et nationalités jusqu’à 1968 quand le château a été vendu à cause de ses difficultés financières. Aujourd’hui le château garde le souvenir de la vie de l’artiste, l’on y trouve certains affiches de ses spectacles et ses costumes de scène, parmi lesquelles la fameuse ceinture de bananes. Malheureusement, je ne pourrais pas vous la montrer car les photos en intérieur sont interdites. Une partie de l’exposition est consacrée à l’action de Joséphine Baker à la Résistance pendant la Deuxième guerre mondiale pour laquelle l’artiste avait été décorée de la Légion d’Honneur.

Le château des Milandes est aussi dédié au dressage des rapaces de la région, la fauconnerie étant un des passe-temps favoris des seigneurs d’autrefois. Tous les jours les visiteurs peuvent assister au spectacle des rapaces ou à un atelier de fauconnerie pour les enfants pour apprendre les bases de cet art médiéval.

Après les demeures et le vin, la prochaine fois je vous amènerai vous reposer un peu dans quelques beaux jardins. 

Le domaine de Monbazillac

Bergerac

le château de Castelnaud et vue du château vers la vallée de la Dordogne

Le château de Milandes

Les trois couleurs de Bergerac : blanc (sauvignon blanc et muscadelle), rouge (merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon) et rosé (merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon)

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